Donner une voix à celles que l’on n’entend pas

Entretien avec Saïda Ouchaou sur la réalisation de son plus récent documentaire.

Si tout va comme prévu, c’est à la fin de cette année que le film de Saïda Ouchaou sera fin prêt à être diffusé puisqu’elle commence le montage au printemps.

Bien que le titre ne soit pas encore choisi, puisqu’elle hésite entre deux options, le film traite d’un sujet bien actuel, mais qui n’a jamais ou rarement fait l’objet d’un tel intérêt; être une femme musulmane au Canada.

 

Pourquoi avez-vous décidé de traiter de ce sujet dans un film?

Saïda : L’image présente des femmes musulmanes dans les médias est toujours la même et plutôt conservatrice. On les voit toujours arborant le foulard et semblant très pratiquantes. La réalité est pourtant toute autre, car elles sont bien plus diverses dans leurs pratiques et c’est ce que j’ai voulu mettre en lumière avec ce film. Les femmes de confession musulmane font aussi leur propre choix quant à la relation qu’elles ont avec leur religion, tout comme les femmes associées à d’autres religions comme le catholicisme ou le judaïsme par exemple. Une recherche en ligne sur le sujet vous inondera de contenus plutôt conservateurs. Il faut offrir des alternatives aux images qui existent.

Chaque fois qu’on parle de musulmans, on voit soit un homme en train de prier sur un tapis ou une femme voilée. Comme personne, je ne me retrouve pas dans cette perception alors je me suis dit que je n’étais certainement pas une exception. J’ai donc voulu donner une voix à celles qu’on n’entend pas, un regard sur les femmes musulmanes de notre pays, qu’elles soient anglophones ou francophones.

Ayant immigré à Vancouver il y a presque 20 ans 19 ans, j’ai vite constaté un autre regard des Canadiens de la côte ouest sur la spiritualité et la religion musulmane comparativement à la France d’où je viens.

Là-bas, la place de l’islam dans l’Hexagone est source de polémiques. Et les choses ne se sont pas améliorées après le 11 septembre où ça a empiré.

Qu’est-ce que la rencontre de vos personnages vous a apportée?

Saïda : Aucune des femmes dans le documentaire ne porte le voile. Parce qu’elle ne porte pas ce signe religieux, on ne les reconnaît pas même si elles revendiquent leur appartenance à l’islam. Le voile est un choix. En montrant des femmes non voilées, ça ouvre à la discussion. Je pensais à mes nièces, aux nombreuses femmes qui m’entourent et qui vivent avec une double culture et qui essaient de trouver leur place avec une spiritualité empreinte d’islam et les valeurs occidentales.

J’ai rencontré des femmes d’un bout à l’autre du pays. Mes personnages proviennent de Montréal, dont une Montréalaise habitant à New York, à Toronto, à Victoria et Vancouver. J’ai aussi eu la chance de rencontrer un imam porteur d’un grand savoir à Ottawa. Il est très moderne avec une vision féministe et égalitaire de l’islam.

Toutes les personnes rencontrées m’ont apporté beaucoup. J’ai grandi avec ce film. C’est un film de femmes avec une équipe féminine (à l’exception d’un preneur de son pour un petit laps de temps à Vancouver).

Vous avez travaillé avec l’ONF pour ce film. Comment s’est déroulé le processus?

Saïda : J’ai soumis mon idée à la fin de l’année 2015 et commencé l’étude de faisabilité en 2016. À l’époque c’était Dominic Desjardins qui était producteur exécutif à l’ONF. Cette étape m’a beaucoup aidée. J’ai rencontré plusieurs des personnages qui se retrouvent dans le documentaire ainsi qu’un groupe d’avocates spécialisées en islam et j’ai fait beaucoup de recherches. En 2017 j’ai eu le feu vert pour le développement qui a abouti par un scénario.

Comme je n’étais pas pressée à sortir le film, je n’ai pas eu de problème à prendre une pause telle que le souhaitait l’ONF. J’ai donc repris le projet à la fin 2018 où j’ai refait du travail avec un nouveau producteur, Denis McCready. J’ai revu le scénario et commencé le tournage qui s’est fait entre le mois d’août et octobre 2019.

Pour l’instant, le format fixé est un format télé de 52 minutes. Comme j’ai beaucoup de matériel visuel et audio, j’espère pouvoir l’exploiter avec des capsules ou autres afin d’en faire profiter les gens.

Comment avez-vous aimé votre expérience?

Saïda : Un de mes rêves était de faire un film d’auteur avec un partenariat qui me permettrait de me développer en tant qu’artiste. Avec l’ONF, j’ai pu bénéficier de l’apport de personnes expérimentées. J’ai aussi de l’aide à la recherche. J’ai également  eu une conseillère à la scénarisation dans la personne de Marquise Lepage que j’apprécie beaucoup.

Je trouve que l’étroite collaboration entre l’ONF et le FRIC est intéressante. Ce métier en est un de passion qu’on ne fait pas pour l’argent. Pour plusieurs membres du FRIC, ce n’est pas facile de tout conjuguer avec la famille et les autres emplois. Des contacts comme ceux de l’ONF sont donc fort importants et j’encourage mes collègues à travailler avec cette agence culturelle fédérale canadienne.

Que retirez-vous de toute cette expérience?

Saïda : Ce film en est un de défis. Défi pour le choix des personnages. Défi avec les lieux puisqu’on devait se déplacer partout au Canada. Défi au niveau du montage, car il y a beaucoup de matériel et qu’il faut choisir. Mais aussi parce que le sujet du film est très près de moi.

J’ai aussi appris que la préparation d’un tournage est une étape importante! On a dû jongler avec beaucoup de choses en peu de temps. Si je refais un film, je passerai encore plus de temps avec ma DOP.

Il n’en reste pas moins que c’est un film lumineux. On a eu beaucoup de chance lors des tournages puisque le soleil était de la partie. Je me suis installée dans une grande écoute dans ce projet. C’est un film qui laisse la place à la parole des personnages. Les femmes se sont livrées et m’ont fait confiance pour s’exprimer sur le sujet.

Grâce à cette expérience très enrichissante, j’ai d’autres projets. Je me sens plus forte et prête à me lancer!

Crédit photos :
Katerine Giguère
Amélie Lambert-Bouchard
Saïda Ouchaou