Pour la réalisatrice Emilie Peltier, ce projet créatif s’inscrivait dans son propre processus d’acceptation Septembre 2021

Rencontre entre la poésie et la différence

Trouver le bon poème

Bien qu’elle ait fait de belles découvertes, Émilie s’est rendu compte que la poésie est un art qui n’est pas si facile à aborder lorsqu’on le connaît peu. Pendant son premier séjour à Québec, elle a lu plusieurs autrices et auteurs de poésies acadiennes et québécoises de la ville de Québec. De prime abord, aucune œuvre ne faisait écho à ce qu’elle recherchait au niveau des sentiments, des émotions.

C’est de retour à Moncton qu’elle a découvert que Mo Bolduc, un poète acadien non binaire qui avait lui aussi fait une résidence à Québec en mars. Après lui avoir demandé de lui envoyer les textes de cette résidence, elle est tombée sous le charme et a trouvé  le poème qui résonnait en elle pour son film. Le thème de la résidence « Aller vers l’autre » s’y prêtait parfaitement. Le poète a accepté de lui prêter ses textes pour son projet de film.

Mo Bolduc vit à Montréal et a pu retrouver l’équipe à Québec pour le tournage en septembre. On peut donc voir le poète dans le film. L’équipe a passé deux jours intenses tout ensemble à interpréter les textes en langues des signes québécois et accompagné du poète qui pouvait partager l’intention et les émotions derrière ses textes. Les acteurs ont donc pu interpréter son œuvre selon leur propre expérience, sans recourir à la traduction.

De vraies contraintes sanitaires

Étant donné que le tournage s’est déroulé en pleine pandémie, plusieurs défis ont dû être relevés. Le tournage ayant lieu dans une magnifique église blanche immaculée, le paysage était pollué par des affiches et des autocollants indiquant les directives. En plus des flèches et du sens à suivre lors des déplacements. Et on ne se cachera pas que le port du masque et les personnes sourdes ne font pas bon ménage! Heureusement il y avait un interprète en langue des signes sur place. Malgré tout, l’équipe a réussi à jongler avec tout ça et compléter le tournage dans les délais requis.

Le projet du film Matin Ecchymose est né grâce à un appel à projets issu d’un partenariat entre le FICFA et SPIRA, une coopérative vouée au cinéma indépendant à Québec. Cet appel s’adressant aux cinéastes de la relève ayant déjà créé un ou deux courts-métrages, Émilie a soumis sa candidature. L’un des défis à relever est que le film doit être tourné à Québec et mettre un aspect de la ville en valeur. C’est la communauté sourde de Québec, par le biais d’un poème qu’Émilie a choisi de mettre en lumière.

Émilie avait déjà tourné un petit film sans budget à Toulouse avec des personnes sourdes sur une chanson en langue des signes. C’est donc avec cette expérience et 54 NORTH en poche, mais sans vraiment connaître la Ville de Québec ni les personnes sourdes y résidant qu’elle s’est lancée dans ce voyage. Le projet s’accompagnant d’une petite équipe de production et de tournage, c’était une occasion de travailler dans un cadre plus professionnel.

Quand les étoiles sont alignées

Grâce à une bourse octroyée par ArtsNB, elle eut l’occasion de faire un premier voyage de trois semaines à Québec pendant l’été 2020 pour aller découvrir la ville et y rencontrer des gens.

Elle est arrivée quelques jours avant la réouverture progressive des endroits publics. Par  chance, car elle devait passer beaucoup de temps dans les bibliothèques afin de choisir le poème qui serait interprété par les acteurs du film.

Pour dénicher des personnes sourdes intéressées à prendre part à son projet, elle a dû communiquer avec des associations. De fil en aiguille elle a rencontré des gens, dont trois des personnes sourdes qui ont participé au projet. La dernière, Elizabeth, été choisi en mode virtuel après son retour à Moncton. C’est donc au début du mois de septembre 2020 que toute l’équipe a pu tourner, à Québec.

La suite

Le film a, jusqu’à aujourd’hui, profité d’un beau rayonnement dans les festivals avec sa première au FICFA. Fait intéressant, dû au décalage du projet, le film fut prêt juste deux jours avant sa première!

Il a aussi pu être vu à CinéFranco, Cinéma on the Bayou, Festival Frye, et Les mains gauches, un nouveau festival monté par des jeunes revendicateurs, en plus de faire partie de la programmation du Mois de la poésie.

Puisque SPIRA est aussi un distributeur, la coopérative a repris le flambeau pour la distribution de Matin Ecchymose. L’objectif est d’être vu dans des festivals d’arts et de poésie puisque le film demeure expérimental, des festivals queers, des festivals de courts-métrages et des festivals de cinéma ou d’art sourd. Le projet a déjà été soumis à différents endroits et en attente de réponses.

Outil créatif et pédagogique

Le film sert d’outil pédagogique pour aborder la différence d’un point de vue plus artistique.  Ce projet se veut aussi une occasion de discussion autour du sujet de la surdité.  Par exemple, il a été diffusé lors de la Journée de la fierté sourde le 19 février dernier. L’important est de pouvoir parler de la surdité, de l’identité sourde, de la culture sourde, de la langue des signes, mais surtout de déconstruire des clichés.

La communauté sourde ne considère pas la surdité comme un handicap – il y a une langue qui existe pour communiquer. La poésie en langue des signes existe déjà en plus de la discipline de chansigneur/chansigneuse (chansigne). Mais comme plusieurs artistes, l’accessibilité est un vrai frein dans le domaine en tant qu’artiste.

Bien qu’Émilie n’ait pas trouvé d’artistes sourds pour participer à son projet, à part l’une des actrices qui avait déjà fait de la danse signée mais ne se considère pas comme artiste à la base, elle espère que la participation à un tel projet leur donnera l’envie d’explorer des facettes artistiques.